Mon entretien avec Platon

          

Préambule

         Quand un écrivain a beaucoup écrit, comme c'est justement le cas de Platon, il est possible de trouver dans ses textes les réponses à toutes les questions qu'on lui poserait s'il était encore parmi nous. Dans un proche avenir, grâce aux performances de l'informatique, ce sera surement une chose qui deviendra courante. Mais pour le moment c'est ce genre d'essai que je propose au lecteur. J'y suppose donc un entretien avec Platon qui bien souvent se contentait de rapporter des propos de son maitre Socrate.

         Chaque réponse de Platon est accompagnée de sa référence exacte pour qu'il soit possible de la retrouver dans le texte original ce qui est vivement conseillé, car ici, pour garder sa fluidité à cet entretien fictif, je me suis très largement éloigné du mot à mot en ne gardant que l'idée générale et en m'attachant cependant à ne pas la déformer. La numérotation donnée est celle qui est presque unanimement adoptée et qui nous vient de la traduction que fit paraître en 1578 le grand helléniste français Henri Estienne. On la trouve par exemple dans les ouvrages de La Pléiade dont je me suis servi.

         Je pense que par toutes les citations qu'il donne cet entretien pourra être utile à ceux, lycéens ou étudiants, qui trouveront fastidieuse la lecture de Platon en entier. Mais quant, à leur tour, dans un devoir ou un exposé, ils donneront ces citations, il est absolument nécessaire qu'ils les accompagnent elles aussi de la référence donnée, tant sont véhiculées, même parmi les enseignants, de nombreuses idées fausses sur la pensée de Platon.

La conception des dialogues

Moi : Si vous le voulez bien nous commencerons notre entretien en précisant dés le début la forme que nous voulons lui donner. Je pense que les lecteurs seront heureux d'y trouver des conseils qu'ils seront libres de suivre ou de ne pas suivre car je sais que vous répugnez à imposer quoi que ce soit.

Platon : Si on ne me demande pas de conseil ou bien si ces conseils on ne doit manifestement pas les écouter je ne vais pas, en ce qui me concerne, prendre moi-même l'initiative pour conseiller qui que ce soit, bien décidé d'ailleurs à ne rien imposer fut-ce à mon propre fils. [Lettres 331 b]

Moi : Pouvez-vous alors nous dire dans quel esprit vous avez fait les nombreux dialogues qu'on peut lire dans vos écrits  ?

Platon : Je fais partie de ceux qui prennent plaisir à être réfutés si je dis quelque chose qui n'est pas vrai ; mais qui prendront plaisir aussi à réfuter si on dit quelque chose qui n'est pas vrai. De ceux qui en vérité ne trouveront pas d'être réfutés plus déplaisant que de réfuter. [Gorgias 458a]

Moi : Mais ces réfutations les admettez vous sans restrictions quel que soit celui qui vous les fait ?

Platon : Quant à mon avis celui qui parle est un savant homme je m'informe en détail auprès de lui, j'examine et réexamine, j'approfondis les choses qu'il a dites ; tout cela à seule fin de m'instruire. Quand au contraire celui qui parle est à mon avis quelqu'un d'insignifiant, ni je ne lui pose de questions ni je ne me mets en peine de ce qu'il dit. [Le Petit Hippias 369d]

Moi : Donc, dans un débat, vous proposez de commencer d'abord par faire l'examen des auditeurs pour voir quels sont parmi eux ceux dont l'avis doit l'emporter sur celui des autres ?

Platon : Voilà pour commencer ce que nous devons considérer : est ce qu'il y en a un parmi nous qui est compétent sur la question que nous nous posons ? S'il y en a un c'est celui la qu'il faut écouter sans laisser les autres interférer. Et s'il n'y en a pas un alors adressons nous ailleurs ! [Lachés 185 a]

Moi : Cette sélection une fois faite quelles qualités demandez vous à un bon débateur ?

Platon : Prenons Protagoras, qui est capable de prononcer de longs et beaux discours. Il a aussi le talent, quand on l'interroge, de faire une réponse courte et, quand c'est lui qui pose la question, de savoir attendre la réponse et de l'accepter, talent qui est réservé a bien peu de gens [Protagoras 329 b]

Moi : Ici vous avez manifestement en tète la fameuse maïeutique qui a fait votre réputation où vous n'avancez dans les débats que par les questions que vous posez. Il faut donc n'y donner évidemment que des réponses courtes. Je pense que c'est ainsi que vous voulez que soit conduit notre entretien ?

Platon : Fais comme si je me trouvais être un peu sourd, alors tu te sentirais obligé de parler un peu plus fort avec moi que lorsque tu parles avec les autres. De même, puisque avec moi tu es tombé sur quelqu'un qui n'a pas de mémoire, par égard pour moi, élague tes réponses et, si je dois te suivre, fais les plus courtes. [Protagoras334d]

Moi : Mais quand on utilise la maïeutique c'est quand même votre opinion qui prédomine ?

Platon : Dis moi : quand il y a question et réponse quel est celui qui donne son opinion ? Celui qui pose la question ou celui qui donne son opinion ? [Alcibiade 113a]

Moi : Evidemment celui qui donne son opinion. Mais vous qu'en pensez-vous ?

Platon : Ne t'inquiète pas de moi. Ne nous occupons pas de ce que je pense mais seulement de ce que tu dis, toi. [ Charmide 163 e]

Moi : Le principe de la maïeutique est excellent mais il est souvent fastidieux. Je sais que dans certains cas vous acceptez de faire à la fois les demandes et les réponses. Que dites vous alors à vos auditeurs ?

Platon : Je m'interrogerai moi-même, tandis que vous, auditeurs, vous n'aurez rien à dire; après quoi, de nouveau, c'est moi qui répondrai, toute la discussion se déroulant de la sorte jusqu'à ce que l'on soit venu complètement à bout de la question. [Lois 893 a]

Moi : Quelle que soit la méthode utilisée n'est il pas finalement illusoire de croire pouvoir arriver à connaître la vérité dans quelque domaine que ce soit ? Et Ménon n'a-t-il pas raison de dire, qu'en fait, toute recherche est impossible?

Platon : Il faut considérer tout ce qu'il y a de captieux dans la thèse de Ménon qui dit qu'il est impossible à un homme de chercher ni ce qu'il sait ni ce qu'il ne sait pas. Ni d'une part ce qu'il sait il ne le chercherait pas en effet car il le sait et, en pareil cas il n'a pas besoin de le chercher; ni d'autre part ce qu'il ne sait pas car il ne sait pas davantage ce qu'il devra chercher. [Ménon 80 e]

Moi : Alors que répondre à cette argumentation ?

Platon : Notre âme est immortelle et elle sait tout. Alors elle se ressouvient de ce qu'elle connaissait auparavant et, en nous rappelant un détail, elle nous permet de retrouver tout le reste, à condition d'être persévérants et de ne pas nous décourager dans la recherche. Ainsi chercher et apprendre ne sont en vérité qu'une remémoration. [ Ménon 81 d]

Moi : Donc, selon vous, nous possédons déjà toutes les connaissances en nous. Mais comment savoir alors, quand nous découvrons une entité nouvelle, si nous nous en ressouvenons correctement ? Pouvez-vous nous donner les critères qui nous permettent de savoir si nous la connaissons bien ?

Platon : Premier point : il faut qu'elle ait un nom ; deuxième point : il faut qu'elle soit bien définie; troisième point : il faut qu'on puisse la représenter; quatrième point : il faut en connaître les propriétés. Mais si vous voulez comprendre ce que je veux dire par là, prenons un seul exemple Le Cercle, et, à propos de tout, raisonnons de même. [Lettre aux parents et aux amis de Dion 342 b]

Moi : En effet pour un cercle on lui a donné un nom, on sait donner sa définition, on sait le représenter et enfin on sait en donner les propriétés. On a donc bien les critères nécessaires pour dire que nous connaissons parfaitement cette abstraction qu'est la circularité. Mais pensez vous que cet exemple peut s'appliquer à toute chose ?

Platon : Ce sera la même chose à propos des figures aussi bien rectilignes que circulaires, à propos de la couleur à propos du bon, du beau du juste aussi bien qu'à propos de tout objet matériel que ce soit un objet fabriqué ou bien une chose de la nature comme le feu, l'eau et tout ce qui est du même genre [Lettre aux parents et aux amis de Dion 342 d]

Moi : Cet discipline évite au moins les redites quoiqu'elles ne soient pas inutiles.

Platon : Il y a du bon, me semble-t il dans le proverbe qui dit «  Les bonnes choses au moins il faut dans la conversation y revenir et deux et trois fois » [Philèbe 60 a]

Moi : Votre conception du débat philosophique étant ainsi expliquée nous allons pouvoir parler de philosophie, bien que cela ne passionne pas beaucoup de monde.

Platon : Ceux qui par ignorance sont en fait des méchants ne philosophent pas car aucun d'eux ni aucun être hermétique à l'instruction ne s'emploie à philosopher. [Lysis218a]

Moi : En fait les philosophes comme les savants passent souvent pour des farfelus.

Platon : Thalés étant tombé dans un puits tandis que occupé d'astronomie il regardait en l'air, une petite servante Thrace toute mignonne et pleine de bonne humeur se mit dit on à le railler de mettre tant d'ardeur à savoir ce qui est au ciel alors qu'il ne s'apercevait pas de ce qu'il avait devant lui et à ses pieds. Or c'est tout à fait la raillerie qui peut être faite aux philosophes. [Théétète 174 a ]

Moi : C'est dommage car la philosophie permet d'éviter les comportements moutonniers. Comment vous tirez vous d'affaire quand vous pensez différemment des autres ?

Platon : Il n'est pas du tout facile voyez vous de se tirer d'affaire quand on énonce des idées en contradiction avec ce qu'affirment à maintes reprises des milliers et des milliers de gens [Lois 810 d]

Moi : Et cela, je crois, vous arrive souvent qu'on voius mette le nez dans la farine ?

Platon : S'il m'arrive de me trouver dans la compagnie de gens réputés pour leurs connaissances et dont le savoir ne trouve chez les grecs que des approbations, alors il m'apparaît que je ne sais rien ; car il n'y a rien pour ainsi dire sur quoi je sois de leur avis. Or y a-t-il certainement une plus décisive preuve d'ignorance que de ne pas s'accorder avec ceux qui savent ? [Le Petit Hippias 372c]

Moi : Mais vous ne changez pas d'avis pour cela. N'avez-vous pas, parfois, envie d'abandonner la philosophie ?

Platon : Pour un homme, c'est le bien le plus grand de s'employer chaque jour à parler de la vertu et d'autres sujets dont vous m'entendez discuter quand je réfléchis sur moi-même et sur les autres. Et je pense qu'une vie à laquelle l'examen fait défaut ne mérite pas qu'on la vive. [Apologie de Socrate 38a]

Moi : Pourtant c'est pénible de subir les critiques de gens qui ne vous arrivent même pas à la cheville.

Platon : Il n'est pas acceptable, je crois, que celui qui vaut mieux l'emporte sur celui qui vaut moins. [Apologie de Socrate 30 d ]

Moi : Alors, quand on cherche la vérité, peut on dire que les gens qui raisonnent juste sont des gens qui savent car ils se remémorent convenablement et que ceux qui raisonnent mal sont des gens qui ne savent pas. ?

Platon: L'examen de ce que nous cherchons ne doit pas se faire de cette façon. Au lieu de procéder du point de vue « savoir » ou « ne pas savoir » il faut nous placer plutôt devant celui-ci « être » ou « ne pas être ». [Théétète 188 c]

Moi : C'est une question qui deviendra célèbre plusieurs siècles après vous car elle sera reprise avec beaucoup de succès par un de nos grands écrivains, Shakespeare.

        Mais, ces considérations générales ayant été faites, nous allons, si vous le voulez bien, entrer directement dans ce que les philosophes d'aujourd'hui appellent "le platonisme".

         Exceptionnellement, car 23 siècles après vous ne pouvez plus manifestement nous répondre, je vais employer la méthode que vous avez suggérée, c'est à dire que « je m'interrogerai moi-même, et après quoi, de nouveau, c'est moi qui répondrai »

Platon : entendu.

 

Le Platonisme

 

Moi : Le platonisme consiste essentiellement en votre idée directrice qui soutient que les idées et les concepts ont une réalité qui nous échappe. Par exemple nous pouvons toucher la Neige mais nous ne pouvons pas toucher le Froid, nous pouvons toucher le Feu mais nous ne pouvons pas toucher le Chaud. Nous pouvons seulement en donner des exemples. C'est plus clair encore avec les mathématiques. Nous pouvons montrer un nombre comme 2 ou 3 par exemple mais nous ne pouvons pas montrer l'Impair ou le Pair, nous ne pouvons seulement qu'en donner des exemples. Mais dans Phédon vous avez expliqué cela à votre auditeur Cébès de façon bien plus claire.

Platon: Examine la question pour le chiffre 3 par exemple. Est ce qu'à ton avis on ne dit pas toujours de lui que c'est le nombre trois et aussi que c'est un Impair  quoique la qualité d'impair ne se limite pas au seul nombre trois. Il n'en reste pas moins que c'est pourtant la propriété de 3 et de 5 et de la moitié de tous les nombres que toujours chacun d'eux, quoique n'étant pas précisément l'Impair est cependant Impair. Inversement 2, 4 et toute entière encore l'autre série de nombres, quoique n'étant pas précisément ce qu'est le Pair, sont toujours cependant chacun un nombre pair. Conviens-tu ou non de cela avec moi ? [Phédon 104a]

Moi : Tout à fait. Mais aujourd'hui, avec les Classes d'Equivalence, les mathématiciens ont résolu ce problème, bien que même les philosophes actuels ne soient généralement pas au courant.

Platon : Alors montre moi comment.

Moi : Entre les éléments concernés, que, par commodité, nous appellerons a, b, c etc., nous établissons une relation. Cette relation est dite réflexive si elle lie chaque élément à lui même. Cette relation est dite symétrique quand, lorsqu'elle s'applique de a vers b elle s'applique aussi de b vers a. Et enfin elle est dite transitive si, dés lors qu'elle s'applique de a vers b puis de b vers c elle s'applique aussi de a vers c.

Platon : Un exemple serait le bienvenu.

Moi : Tout à fait. Soient donc des segments a,b,c…tracés sur une feuille de papier. Considérons entre eux la relation qui consiste à les mettre exactement l'un sur l'autre, relation que nous appellerons "la superposabilité". Chaque segment est évidemment superposable à lui-même. La relation est donc réflexive. Si un segment a est superposable à un segment b, évidemment b est superposable à a. La relation est donc symétrique. Et enfin si a est superposable à b et si b est superposable à c alors évidemment a est superposable à c. La relation est transitive.

Platon : C'est en effet très simple mais je ne vois pas comment ces propriétés permettent de résoudre le problème que nous nous sommes posés.

Moi : On découvre que, quand ces trois propriétés sont vérifiées, la relation considérée engendre une entité nouvelle.

Platon : Alors quelle est cette entité nouvelle qu'engendre dans ton exemple la relation de superposabilité ?

Moi : Ici l'entité nouvelle qui apparaît est la "longueur". On dit de deux segments superposables quelconques qu'ils représentent l'abstraction appelée longueur. Ainsi, bien qu'une longueur soit immatérielle nous venons de lui donner une existence puisque nous répondons aux quatre conditions que vous avez posées dans votre lettre aux parents de Dion : un nom, une définition, une représentation et enfin des propriétés, lesquelles sont d'ailleurs si bien connues que votre quasi contemporain Euclide ne travaille presque toujours qu'avec des longueurs.

Platon : Cette méthode peut elle être utilisée pour définir le Pair et l'Impair ?

Moi : Bien évidemment. Il suffit d'établir entre les nombres la relation « donne le même reste dans la division par deux ». Il est facile de vérifier qu'il s'agit la aussi d'une relation d'équivalence. Et cette relation établit deux classes dans l'ensemble des nombres entiers qui sont le Pair et l'Impair.

Platon : Et pour mes autres exemples ?

Moi : Cette méthode s'applique pareillement. Par exemple le chaud et le froid sont les classes d'équivalence pour la relation « a la même température que ». Donc la neige est un exemple de froid mais elle n'est pas le seul exemple, de même que 3 est un exemple de l'impair mais n'est pas le seul exemple.

Platon : Et bien voici enfin la réponse à la question qui me tracassait quand je m'entretenais avec Cébès !

 

La sagesse de Platon

Moi : Je vais maintenant vous interroger sur des questions qui troublent notre société du XXI° siècle car nous aimerions savoir ce que vous en pensiez. Par exemple peut-on réussir une intégration entre des gens de niveaux différents ? Ou pour faire plus court un pauvre peut il vraiment être ami avec un riche ?

Platon : Entre des esclaves et des maitres il n'y aura jamais d'amitié. De plus il n'est pas acceptable que le peuple honore également des hommes sans valeur et des gens de bien, car, à moins d'une exception improbable, l'égalité entre des conditions inégales se changera en inégalité. Et de fait, à cause de ces deux conditions réunies, toutes les organisations politiques s'emplissent de dissensions. C'est, sachez le, un adage tout à fait juste et plein de vérité qui dit que « l'amitié nait de l'égalité ». [Lois 757 a]

Moi : C'est effectivement quelque chose que nous constatons fréquemment hélas. En fait souvent le pauvre se considère comme l'esclave du riche qui, lui, est tout à fait libre de faire ce qu'il veut.

Platon : L'excès de servitude et l'excès de liberté sont chacun un mal extrême, tandis que, lorsqu'elles sont convenablement dosées, elles sont le bien suprême. [Lettres 354 e]

Moi : Au fond tout se ramène à des questions d'argent et par exemple l'élection actuelle du président Trump aux USA montre que le peuple attribue le mérite à celui qui a réussi à faire fortune.

Platon : Je vous dis que ce n'est pas de la fortune que nait le vrai mérite mais c'est au contraire le vrai mérite qui fait bonnes la fortune et les autres choses humaines aussi, toutes sans exception dans les affaires privées comme dans celles de l'Etat [Apologie de Socrate 30b]

Moi : N'est ce pas là prêcher dans le désert car, vous le reconnaissez, en fait l'homme est un loup pour l'homme ?

Platon : Dans la vie publique tout homme est pour tout homme un ennemi et, au fond, dans la vie privée, chacun, individuellement, en est un pour lui-même. [Les Lois 626 d]

Moi : Surtout que certains humains ont le vice dans la peau. Or je crois que vous pensez différemment ?

Platon : Les sages pensent qu'il n'y a pas un seul homme qui commette des fautes de son plein gré et qui de son plein gré réalise des actes laids et mauvais. Tout au contraire les sages savent parfaitement que tous ceux qui font des choses laides et mauvaises les font malgré eux. [Protagoras 345f ]

Moi : Mais ce n'est pas une raison pour absoudre tout le monde et supporter l'injustice sans y répondre.

Platon : Entre commettre une injustice ou subir une injustice je choisirais de la subir plutôt que de la commettre [Gorgias 469 b]

Moi : Nous dirions aujourd'hui que c'est une conception angélique.

Platon : Celui qui fait une faute est certes malheureux mais il est plus malheureux encore dans le cas où il ne reçoit pas le châtiment de sa faute. [Gorgias 472 e]

Moi : Cette affirmation pouvait être valable à votre époque où tout le monde croyait dans des Dieux tutélaires, et alors il suffisait aux juges de dire que c'étaient les Dieux qui avaient dicté les peines distribuées. Mais pour nous ce n'est plus possible.

Platon : Le juge se tirait ainsi d'embarras avec autant de promptitude que de sécurité. Mais aujourd'hui, cette méthode ne conviendrait plus à une époque où justement il y a, nous l'affirmons, une partie des hommes qui ne croit absolument pas à l'existence des Dieux. [Lois 948 c]

Moi : Alors c'est pareil pour nous. Le remord devient de plus en plus rare et même nos grands hommes politiques enfreignent souvent les lois donnant ainsi le mauvais exemple.

Platon : Quiconque se révèle capable d'enfreindre les lois, prouve par la même qu'il est capable de corrompre aussi la jeunesse et ceux qui ne réfléchissent pas. [Criton 53c]

Moi : On peut donc dire que vous faites principalement dépendre le bonheur d'un pays et de ses citoyens de leur obéissance aux lois ?

Platon : Il ne pourra jamais y avoir de bonheur ni pour un état ni pour aucun individu, à moins que son existence ne s'écoule toute entière dans l'obéissance à une justice accompagnée d'intelligente sagesse [ Lettre 335 d]

Moi : D'ailleurs, pour vous, cette obéissance aux lois est si importante que vous ne prônez pas le même régime pour la gouvernance d'un pays selon que les lois sont y respectées ou non.

Platon: Quand l'indiscipline règne ce sont les régimes démocratiques qui sont les meilleurs ; ce sont au contraire ceux qu'il faut éviter lorsque les autres régimes sont bien organisés. [Le Politique 303 b]

Moi : Donc c'est bien d'après vous l'obéissance aux lois qui est primordiale. Ainsi aux jeunes qui ne réalisent pas comme il est important d'obéir à la loi vous prônez une morale ….

Platon  :... qui leur interdit absolument d'écouter quiconque parle devant eux pour la dénigrer, tandis que si quelque vieillard a quelques reproches à lui faire, il ne doit faire part de ses réflexions qu'aux magistrats dont dépend la loi en question et sinon à ses contemporains mais hors de la présence de tout jeune homme. [Les Lois 634 e]

Moi : Cette conduite que vous préconisez a évidemment pour but de faire respecter la vieillesse par les jeunes.

Platon : Certes on enseigne aux jeunes qu'il faut respecter la vieillesse. Mais c'est plutôt aux hommes âgés qu'il faut demander de respecter la jeunesse en prenant les plus grandes précautions pour éviter que jamais les jeunes ne les voient en train de faire ou de dire quelque chose qui n'est pas respectable. En effet, quand la vieillesse se manque de respect à elle-même il est fatal qu'elle entraine de l'impudence chez les jeunes [Lois 729 b]

Moi : Respecter les lois, éviter l'impudence pour les jeunes, se conduire convenablement pour les personnes âgées, ce ne sont là que quelques éléments d'une vie convenable. Pourriez-vous préciser davantage ?

Platon : L'homme qui sait ce qu'est une vie modérée la choisira comme celle ayant le plus d'agrément. car si elle n'apporte que des plaisirs modérés les peines y sont elles aussi modérées puisqu'on n'y trouve pas les passions furieuses tandis qu'une vie de débauche est, sous tous les rapports, pleine de violence. Certes les plaisirs y sont intenses, mais les peines et les chagrins y sont eux aussi intenses, et les désirs comme aiguillonnés sous la piqure d'un taon. [Lois 734 a]

Moi : D'après ce que vous dites il semble plus facile aux personnes âgées d'être vertueuses, car elles ne sont plus sollicitées par les passions furieuses qui viennent par exemple des tentations sexuelles.

Platon : La vieillesse, en ce qui concerne les plaisirs du sexe, fait naître en nous un sentiment immense de paix et de libération [La République 329 c]

Moi : C'est vrai que la plupart des actes de violence auxquels nous assistons sont le fait de la jeunesse. Comment y remédier ?

Platon : L'homme en général est de nature paisible ; néanmoins tandis que grâce aux bienfaits d'une éducation correcte et d'une heureuse nature il devient en général le plus agréable et le plus paisible des êtres, il est en revanche, quand il a été l'objet d'une mauvaise éducation, ou qui n'est pas ce qu'elle devrait être, le plus sauvage de tous ceux que produit la terre.[Lois 766]

Moi. C'est un point que nous avons en commun avec vous. Nous pensons que tout vient effectivement d'une bonne éducation

Platon : Le commencement, comme dit le proverbe, est la moitié du travail entier. Bien commencer nous vaut toujours un hommage général. [Lois 753 e]

Moi : Et, dans l'éducation, le commencement c'est d'abord l'enfance que vous proposez d'éduquer d'une façon originale en racontant tout simplement des contes moraux.

Platon : Pour les contes reconnus moraux nous demanderons aux nurses et aux mères de les raconter aux enfants et de s'appliquer davantage à façonner leurs âmes avec ces contes plutôt que de bichonner leurs corps par des soins manuels. De ceux qu'elles leur débitent aujourd'hui, la plupart sont à rejeter. [La République 377 c]

Moi : Nous avons hélas abandonné les contes moraux pour les enfants et même, pour les adolescents, nous laissons péricliter notre enseignement car nous le confions finalement à des laissés-pour-compte. Il est probable que c'est ainsi que vous expliqueriez notre déchéance !

Platon : Je pense que ceux dont l'éducation a été ce qu'elle doit être, deviennent généralement gens de bien et que par suite il ne faut en aucun point dévaloriser l'éducation, attendu que c'est aux hommes les meilleurs quelle échoit en partage comme le premier des privilèges les plus beaux. [Les Lois 644 b]

Moi : Mais ces hommes les meilleurs comment les trouver ?

Platon : Tout homme doit bien se mettre dans l'idée, quand il pense aux autres, que celui qui n'a pas appris à servir ne sera jamais un maitre digne d'être loué ; qu'on doit se glorifier davantage de bien servir plutôt que de bien commander ; en premier lieu de bien obéir aux lois. [ Lois 762 e]

Moi : Effectivement, car avant d'être capitaine il faut avoir été matelot. Un enseignant étant donc bien choisi quelle doit être sa pédagogie ?

Platon : Il n'y a pas de matière qui puisse être enseignée par force à un homme libre. Si en effet les travaux imposés par la force n'ont sur les corps aucun effet fâcheux, au contraire aucune étude forcée ne s'établit dans l'âme de façon permanente. Garde toi donc de donner par force aux enfants l'aliment des études mais que ce soit en le mêlant à leurs jeux afin d'être encore plus capable de découvrir quelles sont les inclinations naturelles de chacun d'eux. [La République 536 e]

Moi : Je pense que nous sommes arrivés au bout des conseils que je voulais vous demander. Je ne sais pas s'ils convaincront beaucoup de mes contemporains mais je vais leur en faire part. Au fond beaucoup penseront qu'en fait la seule chose importante et qu'ils craignent est la mort.

Platon : De la mort nous ne savons rien, nous ne savons même pas si ce n'est pas justement le plus grand des biens ; mais on la craint comme si on savait parfaitement qu'il n'y a pas de plus grand mal. Et c'est la preuve de notre ignorance répréhensible qui consiste à s'imaginer savoir ce qu'on ne sait pas.[ Apologie de Socrate 29b]

 

Quelques sujets d'étonnement

Moi : Avant de nous quitter je voudrais vous poser quelques questions sur les conceptions et les connaissances que vous aviez dans l'antiquité car nos erreurs et notre ignorance à ce sujet sont parfois grandes. Par exemple est-il vrai que vous considériez la terre comme un grand rectangle d'où viendrait l'expression « Il est allé aux quatre coins du monde » ?

Platon : Ma conception à moi c'est, en premier lieu, que si la terre est au centre du monde et avec la forme d'une sphère, elle n'a besoin, pour ne pas tomber, ni de l'air ni d'aucune autre semblable résistance. [Phédon 108 e]

Moi : Vous pensez donc qu'elle a la forme non d'un rectangle mais d'une sphère. Mais alors comment tient elle dans l'espace ?

Platon: Du moment qu'elle a été placée au centre de quelque chose qui équilibre les forces dans tous les sens, il n'y aura aucune raison pour qu'elle tombe d'un coté ou de l'autre ; mais, considérant ces compensations, elle demeurera immobile. [Phédon 109 a]

Moi : Voilà qui en étonnera beaucoup. Et, pour les planètes, qui vues de la terre ont des trajectoires erratiques, votre croyance était bien que c'est les Dieux qui les faisaient zigzaguer d'où d'ailleurs le nom de « planètes » que vous leur avez donné et qui en grec veut dire « errantes ». ?

Platon : Ce n'est pas une bonne théorie en ce qui concerne la Lune, le Soleil et les autres astres, de dire que ce sont des astres errants parce que c'est en vérité tout le contraire. Chacun d'eux en effet a la même trajectoire, une seule qui est circulaire, tandis qu'en apparence on croit voir des trajectoires zigzagantes. [Lois 822 a ]

Moi : Je suis sûr que ces informations étonneront beaucoup de monde tant elles sont conformes à ce que nous savons aujourd'hui et qui a valu tant de désagréments à des savants ultérieurs comme Galilée ou Copernic.

         Passons alors à un autre sujet. Par exemple est-il vrai que vous mettez les femmes sur un pied d'infériorité par rapport aux hommes, comme le pense aussi Glaucon quand vous lui décrivez les gouvernants idéaux ?

Platon: Et même en vérité les gouvernantes ! Ne t'imagine pas en effet Glaucon que rien de ce que j'ai dit, ait pu être dit concernant les hommes plutôt que les femmes : mes prescriptions concernent toutes les femmes à qui leur nature en aura donné la capacité. [La République VII 540 c]

Moi : Ainsi vous placez les femmes sur un plan d'égalité avec les hommes. Est-ce dans tous les domaines ?

Platon : Toutes les occupations doivent être communes aux deux sexes, aussi bien à la guerre que dans les autres circonstances de la vie [ Timée 18 c]

Moi : Ici encore cette position va en étonner beaucoup. Par contre nous savons de façon presque certaine que, de votre temps, l'homosexualité était considérée comme tout à fait normale. Pouvez-vous nous le confirmer ?

Platon : Le plaisir du sexe a été accordé au sexe féminin et au sexe masculin quand ils font l'amour ensemble pour se reproduire tandis qu'est contre nature la copulation des mâles avec des mâles ou des femelles avec des femelles ; et c'est l'incontinence dans le plaisir qui a inspiré un tel acte à ceux qui l'ont osé les premiers. [Les Lois 636 e]

Moi : Voilà pourquoi vous ne donnez pas le choix aux jeunes gens quant au mariage qui doit être exclusivement hétérosexuel bien entendu !

Platon : Ordre pour les garçons de se marier quand on a trente ans et jusqu'à trente cinq ; faute de quoi : peine pécuniaire, dégradation civique ; pour la peine pécuniaire c'est tant et tant ; pour la dégradation civique elle est de telle sorte ou de telle autre sorte [Lois 722 b]

Moi : Et ceux qui s'avisent de refuser sont lourdement sanctionnés.

Platon : Que celui qui refuse de se marier soit atteint dans sa fortune par une amende mais qu'il soit ensuite déchu de toute marque d'honneur de la part des jeunes gens ; qu'aucun jeune ne prête une oreille complaisante aux observations qu'il peut faire et, s'il se mêle de faire des remontrances à quelqu'un que tout le monde prenne fait et cause pour la victime ; et quiconque ne vient pas en aide à celui-ci devra être qualifié par la loi de lâche et de mauvais citoyen. [Lois 774 b]

Moi : De plus vous prônez des unions en quelque sorte téléguidées !

Platon : Il faut que, le plus souvent possible, l'élite des hommes ait commerce avec l'élite des femmes et au contraire les autres avec les autres : que les enfants des premiers soient élevés et non ceux des seconds si l'on veut que la population garde sa qualité éminente. Et, en outre, que toutes ces dispositions, quand on les prend, soient ignorées, sauf de ceux qui décident, pour éviter toute dissension dans la population dont ils sont les gardiens. [La République 459 d][Timée 18 e]

Moi : A notre époque vous encourriez l'accusation d'eugénisme voire même de racisme. Nous n'approuverions pas non plus votre incitation à la dénonciation.

Platon : Certes il mérite d'être honoré celui qui ne commet pas d'injustice. Mais celui qui empêche l'injuste de commettre l'injustice, celui la mérite d'être honoré deux fois plus que l'autre car le premier n'empêche qu'une seule injustice, alors que le second à lui seul empêche de sévir un grand nombre d'autres injustes du fait qu'il dénonce les injustices des autres. [Lois 730 d]

Moi : nous ne pouvons pas approuver non plus l'incitation à se débarrasser de ceux qui posent problème…..

Platon : Ceux qui ont commis les fautes les plus graves, comme ils sont incurables et qu'ils constituent pour la nation le plus grand dommage, il est d'usage de s'en débarrasser. [Lois 735 e]

Moi : … soit qu'ils posent problème parce qu'ils sont impécunieux et vous les bannissez ...

Platon : Tous ceux qui ont très peu de moyens de subsistance et qui suivent les meneurs à l'assaut des nantis, ceux la, considérés comme une plaie pour l'état, le gouvernement les bannira, mais avec tout le doigté nécessaire, en appelant par exemple cela une fondation de colonie. [Lois 736]

Moi : … soient qu'ils soient des criminels et vous les exécutez.

Platon : Pour l'ensemble de pareilles gens, ce qu'il y a de mieux c'est qu'ils ne continuent pas de vivre et que, retranchés de la vie, ils rendent ainsi aux autres un double service : celui d'être un exemple qui détournera leurs concitoyens de l'injustice et d'autre part d'éliminer du pays de mauvais éléments. De la sorte c'est donc pour le législateur, dans le cas d'hommes ainsi faits, une nécessité de leur donner la mort [Lois 862 a]

Moi : D'ailleurs vous êtes particulièrement permissif dans le droit à la légitime défense.

Platon : Un voleur s'introduit-il nuitamment dans une maison avec l'intention d'y dérober de l'argent ? On sera exempt de reproche si, l'ayant pris sur le fait, on le tue. Sera aussi exempt de reproche celui qui tue un pillard en se défendant contre lui. [Lois 874 b]

Moi : Plus généralement vous n'êtes pas beaucoup ouverts sur le monde extérieur.

Platon : Voici comment il faudrait procéder en ce qui concerne les voyages en d'autres pays et lieux, comme en ce qui concerne l'accueil à faire aux étrangers. En premier lieu, interdiction absolue à quiconque à moins de quarante ans de faire, pour quelque motif que ce soit, aucun voyage à l'étranger ; et jamais à quelqu'un, quel que soit son âge, pour un motif privé. [Lois 950 d]

Moi : Et pour l'accueil des étrangers ?

Platon : Les magistrats devront veiller à ce qu'aucun des étrangers n'introduise des nouveautés. Ils règleront correctement leurs litiges sans avoir avec ces hommes d'autres relations que celles qui sont indispensables et encore le plus rarement possible. [Lois 953 a]

Moi : Merci pour toutes ces informations qui nous surprennent beaucoup, mais il faut dire que plus de vingt siècles nous séparent. Dans certains domaines vous nous étonnez par l'avance que vous aviez et dans d'autres vous nous étonnez par des conceptions que nous ne partageons plus comme par exemple lorsque vous dites que nous sommes tous ambidextres.

Platon : Par la sottise de nos bonnes et de nos mères nous sommes tous devenus comme estropiés sous le rapport des mains ! La vérité c'est que de chaque coté la nature même de nos membres se fait à peu prés équilibre et que c'est nous qui, en ne nous en servant pas comme il faut, les avons par l'habitude rendues différentes. [Lois 794 e]

Moi : Alors que plus de vingt siècles nous séparent nous avons encore quelques souvenirs de vous comme par exemple ce nom d'Atlantique que vous avez donné à l'un de nos grands océans dans lequel vous placiez l'Atlantide gouvernée par Poséidon qui distribua tous ses avoirs entre ses fils.

Platon : A tous il assigna des noms. Au plus âgé c'est-à-dire au roi ce nom fut celui duquel justement l'ile entière ainsi que la mer nommée Atlantique ont reçu leur dénomination parce qu'Atlas était le nom porté par le premier qui exerça alors la royauté. [Critias 114 a]

Moi : Dans d'autres domaines où on croyait innover vous nous avez aussi précédés comme par exemple dans l'alimentation végétarienne puisque certains peuples de votre époque la pratiquaient déjà.

Platon: Ils s'abstenaient de toute nourriture carnée, pour la raison qu'elle est contraire à la piété et qu'il l'est également de souiller les autels des Dieux par le sang des sacrifices ; que notre genre de vie en ce temps la était au contraire ce qui s'appelle une façon orphique de vivre en s'attachant à toute alimentation inanimée en s'abstenant inversement de manger tout ce qui a vie [Lois 782 c]

Moi : De toute façon merci pour notre entretien qui a inauguré une forme nouvelle puisque, pour la première fois je crois dans l'histoire du monde, il s'est fait entre deux interlocuteurs séparés par plus de vingt siècles. Et il n'a pu se tenir que parce que nous avons conservé la trace écrite de tous vos entretiens avec vos contemporains. Or vous étiez, ou plutôt votre maitre Socrate était contre l'écrit car il lui reprochait d'être figé comme une peinture, laquelle est incapable de répondre aux questions qu'on lui pose, ce que notre entretien vient justement de démentir.

Socrate: Ce qu'il y a de terrible dans l'écriture c'est sa ressemblance avec la peinture. On croirait voir des êtres vivants mais ils sont incapables de répondre quand on les interroge. Il en est de même pour les discours écrits. [Phèdre 275 d]

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