L'homme philosophe

:           


Son charisme

          Théagès: Je vais te dire une chose Socrate, qui de par tous les Dieux est incroyable et qui est pourtant vraie : de toi je n’ai jamais reçu aucun enseignement, ainsi que tu le sais fort bien toi même. Et d’autre part je faisais des progrès quand je me trouvais en relations avec toi, même si ce n’était que dans la même maison, et quoique ce ne fut pas dans la même pièce. Mais ils étaient plus grands encore quand c’était dans la même pièce ; beaucoup plus grands même, me semblait il, quand, étant dans la même pièce, mes regards se portaient sur toi tandis que tu parlais, plutôt que quand je regardais ailleurs ; (Théagès §130)


Son détachement de la vie ordinaire

        Socrate : la vérité est que c’est son corps seul qu’on voit dans la cité tandis que sa pensée, pour laquelle il n’y a que petitesse et que néant dans ces occupations matérielles, les dédaigne et selon le mot de Pindare, étend partout son vol à ce qui est sur la terre, (à la surface de laquelle elle pratique la géométrie), comme sur la voûte qui domine le ciel (où elle pratique l’astronomie) explorant complètement la nature de chacune de ces réalités en leur entier, sans déchoir aux choses terre à terre qui lui sont proches. – Théodore : En quel sens entends tu cela Socrate ? - Socrate : en ce sens même, Théodore que Thalès étant tombé dans un puits, tandis que occupé d’Astronomie il regardait en l’air, une petite servante thrace, toute mignonne et pleine de bonne humeur, se mit dit on à le railler de mettre tant d’ardeur à savoir ce qui est au ciel, alors qu’il ne s’apercevait pas de ce qu’il avait devant lui à ses pieds. ! Or envers ceux qui passent leur vie à philosopher, le même trait de raillerie est tout à fait adapté : c’est que, en réalité, l’homme ainsi absorbé ne fait non seulement pas même attention à ce que fait son prochain ou son voisin , mais il ignore même si c’est un homme ou quelque autre créature ! (Théétète § 174)  


Son désintéressement

Socrate : A t’entendre Hippias, nos devanciers étaient prodigieusement ignorants. C’est ainsi qu’à Anaxagore, dit on il advint tout le contraire de ce qui vous arrive à vous : ayant en effet hérité de grands biens, il ne s’en serait pas occupé, et il aurait tout laissé perdre : tant l’intelligence faisait défaut à son savoir ! De certains autres personnages de l’antiquité on raconte d’autres faits du même genre. Donc à mon avis tu fais valoir là une belle preuve de ce que vaut le savoir des hommes d’aujourd’hui, comparés à leurs devanciers, et, suivant une opinion accepté de beaucoup de gens, c’est pour lui même que personnellement le savant doit être savant. Or ce qui, tu me l’as bien montré, en est la marque, c’est qu’il aura réalisé la plus forte somme d’argent ! (Le Grand Hippias § 283)


Son inspiration divine

....en vertu d’une volonté divine, il y a chez moi quelque chose de divin, qui m’accompagne et dont les premières manifestations remontent à mon enfance. Et c’est une voix qui, lorsqu’elle se fait entendre, chaque fois me signifie de me détourner de ce que je suis sur le point de faire, et qui jamais ne me pousse à l’action. De plus, si l’un de mes amis me fait part de quelque dessein et que la voix se fasse alors entendre, c’est pareillement pour l’en détourner et ne point permettre qu’il le réalise. (Théagès 128)

 

.....ce que maintes fois, en maints endroits vous m'avez entendu dire: à savoir qu'il m'arrive je ne sais quoi de divin et de démonique, ce dont justement Mélétos a fait état dans sa plainte, à la manière d'un auteur de comédie. Les débuts en remontent à mon enfance: c'est une voix qui se fait entendre de moi et qui chaque fois que cela arrive, me détourne de ce qu'éventuellement je suis sur le point de faire, mais qui jamais ne me pousse à l'action. (L'Apologie de Socrate §31)

 


Son non conformisme

Socrate : …s’il m’arrive de me trouver dans la compagnie de l’un de vous autres, gens hautement réputés pour leur savoir et dont le savoir trouve dans les grecs de partout autant de témoins, alors il m’apparaît que je ne sais rien ; car il n’y a rien, pour ainsi dire, sur quoi je sois du même avis que vous ! Y a t il certainement plus décisive preuve d’ignorance que de ne pas s’accorder avec les savants ? (Le Petit Hippias § 372)

 


Son amour du discours philosophique

          Socrate: En ce qui me regarde c’est un fait que parler moi même de philosophie, ou en entendre parler par d’autres, est pour moi, indépendamment de l’utilité que cela présente à mon sens, une jouissance surnaturelle ! Entendre au contraire d’autres propos, les vôtres particulièrement, ceux des riches et des hommes d’affaires, à moi, cela me pèse ! et vous, mes amis, je vous prends en pitié de vous imaginer que vous faites quelque chose d’important, alors que vous ne faites rien du tout ! En revanche, c’est moi que probablement vous tenez pour infortuné, et je crois que vous êtes dans le vrai en le croyant ! (Le banquet § 173)


Sa constante remise en cause

Socrate :…c’est là précisément pour un homme le bien le plus grand, de s’employer chaque jour à parler de la vertu et de ce dont encore vous m’entendez m’entretenir tandis que je procède à l’examen de moi même comme des autres, et enfin qu’une vie à laquelle l’examen fait défaut ne mérite pas qu’on la vive ; vous me croirez bien moins si je vous dis cela ! Or ce sont des choses, Juges, qui sont comme je déclare qu’elles sont ; mais il n’est pas facile d’en convaincre. ( L'Apologie de Socrate § 38)



Sa recherche de la sagesse

Critias : « Pour mon compte je fais consister la sagesse à se connaître soi même, et je me range aux cotés de celui qui a mis dans le sanctuaire de Delphes, une inscription votive en ce sens. Selon moi en effet cette inscription a été consacrée à titre de salutation adressée par le Dieu à ceux qui entrent au lieu du « Joie à vous » comme pour dire que cette formule de salut « Soyez en joie n’est pas correcte et que ce n’est pas à cela que nous devons mutuellement nous inviter, mais plutôt à être sages ! Voilà donc quel salut le Dieu adresse à ceux qui entrent dans son temple : salut assez différent de celui des hommes, comme, à mon avis l’a pensé, quand il en a fait l’offrande, l’auteur de cette inscription votive. Ce qu’il dit à chacun , à son entrée, c’est « Sois en sagesse » Mais en sa qualité de devin, il le dit justement sous une forme plutôt énigmatique « Connais-toi toi même » équivaut en effet à « Sois en sagesse » ainsi que le dit l’inscription et que je le dis moi même . Mais peut être pourrait on se figurer que la formule a un autre sens ; ce qui fut, me semble t il le cas de ceux qui dédièrent les inscriptions ultérieures « Rien de trop « et « Caution donnée, proche le malheur » (Charmide §164)



Sa vocation

Socrate : je ne fais rien d’autre en effet que de circuler partout ; je vous engage, les plus jeunes comme les plus âgés, à n’avoir, ni pour vos corps, ni pour votre fortune, de souci qui passe avant l’amélioration de votre âme ni qui soit aussi fort ; je vous dis que ce n’est pas de la fortune que naît le vrai mérite mais que c’est le vrai mérite qui rend bonne la fortune, de même que les autres choses humaines, sans exception, dans les affaires privées comme dans celles de l’état. ( L'Apologie de Socrate § 30)


Socrate : Les athéniens, vois tu , cela leur est, à mon avis parfaitement égal que l’on ait à leurs yeux quelque talent, pourvu qu’on ne se pose pas en professeur de son propre savoir ; mais contre celui qui , à leurs yeux, prétendrait en rendre d’autres pareils à lui, contre celui là ils s’emportent, que ce soit en effet par jalousie, comme tu le dis, ou bien pour quelque autre raison – Eutyphron : En fait, quel que puisse être à ce sujet leur état d’esprit à mon égard, je n’ai pas grande envie d’en faire l’expérience ! –Socrate : Sans doute parais tu en effet ne pas te prodiguer toi-même et être peu disposé à enseigner ton propre savoir ! Mais moi, j’ai bien peur que l’amour que j’ai pour mes semblables ne me fasse passer aux yeux des athéniens pour quelqu’un qui, en propos tenus à n’importe qui, distribue, et à profusion, tout ce qu’il possède ; non pas seulement sans rémunération, mais prêt au contraire à en accorder une, avec joie, à qui acceptera de m’écouter ! (Eutyphron § 3)



Sa libération par rapport aux choses de l'amour

Céphale s’adressant à Socrate :… Sophocle, le poète, près de qui je me trouvais un jour que cette question lui était posée « Comment Sophocle te comportes tu par rapport aux choses de l’amour ? Es tu encore capable d’avoir commerce avec une femme ? « et lui de répondre »Ne blasphème pas, bonhomme ! C’est au contraire avec la plus grande satisfaction que je m’en suis évadé, comme si c’était s’évader de chez un maître follement sauvage ! » Or, même en ce temps là je fus d’avis que c’était sagement parler, et je ne le suis pas moins aujourd’hui : c’est que la vieillesse, à l’égard au moins de tout ce qui a de l’analogie avec de tels plaisirs, fait naître en nous un sentiment immense de paix et de libération. Une fois que la tension des désirs a pris fin, une fois qu’ils se sont détendus, alors se vérifie complètement le mot de Sophocle : cela revient à s’être séparé de maîtres sans nombre et en plein délire. (La république I 329)



Son rôle de médecin des âmes

Socrate : Je serai jugé comme serait jugé un médecin qu’un cuisinier accuserait devant un tribunal d’enfants. Considère effectivement ce qu’un tel homme traduit devant un tribunal, pourrait dire pour se justifier s’il était accusé en ces termes « Enfants, voici un homme qui vous a fait quantités de misères ; il vous abîme aussi bien vous que les plus jeunes d’entre vous , en vous incisant ou en vous cautérisant ; il vous dessèche et vous suffoque si bien que vous ne savez plus où vous fourrer ; il vous donne à boire tout ce qu’il y a de plus amer ; il vous force à la diète ! Ce n’est pas comme moi qui vous régalais de quantités de douceurs variées » Ainsi paralysé par les difficultés de sa situation, que serait à même , selon toi, de dire un médecin ? Suppose qu’il dise la vérité « Tout cela, enfants, je le faisais pour votre santé » Quelles clameurs de protestation , selon toi, de pareils juges ne pousseraient ils pas ! ne seraient elles pas violentes ?(Gorgias § 521)



Son respect des lois

Socrate parlant au nom des Lois : « Allons Socrate, écoute nous, nous qui t’avons nourri ! Ne mets ni tes enfants, ni ta vie, ni quoi que ce soit d’autre, à plus haut prix que la justice, et au dessus d’elle, afin de pouvoir, une fois arrivé chez Hadés, dire tout cela, pour te défendre, à ceux qui là-bas ont l’autorité. Car une telle conduite ne serait meilleure, plus juste, plus pieuse pour toi ou pour aucun des tiens ni en ce monde ni dans l’autre. Car, dans l’état actuel des choses, si tu t’en vas, tu t’en vas victime d’une injustice et non pas à cause de nous, les Lois, mais par la faute des hommes ; au contraire, si tu t’évades, après avoir, avec une telle vilenie, répondu à l’injustice par l’injustice, au mal par le mal, après avoir transgressé ces accords et ces engagements que personnellement tu avais pris envers nous, après avoir fait du tort par ta conduite à ceux à qui tu devais en faire le moins : toi même, tes amis, ta patrie et nous mêmes ; c’est nous alors qui nous fâcherons contre toi. (Criton §54)

 

Sa dignité

Socrate : ..ni je n’ai pensé devoir rien faire, en considération du péril où j’étais, rien qui fut indigne d’un homme libre, ni je ne me repends à cette heure de m’être ainsi défendu. Tout au contraire, je préfère de beaucoup mourir après m’être défendu comme cela, que de vivre en m’étant défendu de l’autre manière ! Pas plus en effet au tribunal qu’à la guerre, on ne doit, pas plus moi qu’aucun autre, employer ces moyens là pour échapper, à tout prix, à la mort ! ( L'Apologie de Socrate § 38)


Sa conviction plus forte que la mort

Socrate à ses juges : Supposons que vous me disiez « Socrate, nous ne suivrons pas aujourd’hui l’avis d’Anytos. Nous t’acquittons au contraire à une condition pourtant : c’est que tu n’occuperas désormais plus ton temps à poursuivre ta quête et à philosopher. Mais si on te prend encore à le faire, alors tu mourras » Si c’était donc à ces conditions, dis je, que vous seriez disposés à m’acquitter, voici ce que je vous dirais « Athéniens je vous salue bien et je vous aime ! Mais j’obéirai au Dieu plutôt qu’à vous : jusqu’à mon dernier souffle et tant que j’en serai capable, ne vous attendez pas que je cesse de philosopher, de vous adresser des recommandations, de faire voir ce qui en est à tel de vous qui, en chaque occasion, se trouvera sur mon chemin, en lui tenant le langage même que j’ai coutume de tenir »( L'Apologie de Socrate § 29)

 

Retour à l'accueil