L'Art de la parole


Les entretiens visent à discuter et non pas disputer

 Prodicos [Savant achevé et homme divin selon Socrate (Protagoras §315e)] « Ce que je réclame de vous, et personnellement, Protagoras et Socrate, c’est que vous conveniez d’engager entre vous, sur les thèses en présence, une discussion, mais non pas une dispute : discuter , c’est en effet ce que font les amis avec leurs amis et amicalement; la dispute, d’autre part, est le fait de gens qui ont des dissentiments et même de l’hostilité les uns à l’égard des autres. C’est en outre de cette manière que notre réunion atteindrait la perfection. Car vous qui parlez, c’est de l’estime que vous trouverez chez nous qui vous écoutons, mais non pas des louanges ; car l’estime existe, sans tromperie, chez ceux qui ne font qu’écouter, tandis que la louange provient des paroles, menteuses et contraires à ce qu’ils pensent. Et d’un autre coté, nous, les auditeurs, nous en éprouverons de cette manière le contentement le plus vif, mais non point du plaisir ; car le contentement, il est possible de l’éprouver en s’instruisant et en participant à l’intellection , par la pensée toute seule ; tandis que le plaisir, on l’éprouve en mangeant ou à l’occasion de quelque autre émotion agréable, par le corps tout seul » Ces paroles de Prodicos obtinrent l’approbation d’un grand nombre des assistants.(Protagoras § 337)                    



On doit chercher aussi bien à réfuter qu'à être réfuté

Socrate : A présent tu ne dis pas me semble t il des choses qui concordent et vont dans le sens de celles que tu disais au début, au sujet de l’art oratoire. Mais j’ai peur de les signaler et que tu crois que je veux avoir le dessus dans une discussion qui, au lieu de s’intéresser à la chose dont on discute, viserait au contraire ta propre personne. Si donc tu es toi même du genre d’hommes dont je fais partie, ce sera un plaisir de te poser toutes mes questions ; dans le cas contraire, j’en resterai là ! Or qu’est ce que ce genre d’hommes auquel j’appartiens ? C’est celui des hommes qui prendront plaisir à être réfutés, quand ils diront quelque chose qui n’est pas vrai ; mais qui prendront plaisir aussi à réfuter, si l’on dit quelque chose qui n’est pas vrai : de ceux qui, en vérité, ne trouveront pas, d’être réfutés, plus déplaisant que de réfuter ; car c’est là, à mon avis le plus grand bien, pour autant que c’est effectivement le plus grand bien d’être débarrassé soi même d’un mal et d’en débarrasser un autre. (Gorgias §458)



Seuls les propos de l'élite méritent ce traitement

  Socrate : Hippias, je ne mets pas en doute quant à moi , que tu aies plus de talent que je n’en ai ! Mais mon habitude constante, c’est, quand on dit quelque chose devant moi, d’y appliquer mon attention, spécialement quand, à mon avis, celui qui parle est un savant homme ;et, avec le désir de connaître ce dont il parle, je m’informe en détail auprès de lui, j’examine et je réexamine, je rapproche les choses qu’il a dites : tout cela à seule fin de savoir. Quand au contraire celui qui parle est, à mon avis, quelqu’un qui ne compte pas, ni je ne lui pose de questions, ni je me mets en peine de ce qu’il dit. (Le Petit Hippias § 369)        


Les citations extérieures ne sont pas les bienvenues

Socrate :…renonçons à parler sur des chansons ou des poèmes, et, revenant à ce qui était l’objet de la question que j’ai, Protagoras, commencé par te poser, j’aurais plaisir à en venir à bout en examinant la chose avec toi. A mon avis en effet, ces entretiens sur la poésie sont tout ce qu’il y a de plus semblable aux réunions de buveurs, quand elles se composent de petites gens et des habitués de la place publique. Effectivement, faute d’être capables en raison de leur manque de culture, de tirer d’eux mêmes, pendant qu’ils boivent, un sujet commun de conversation, pas davantage de trouver des sujets de discours sur lesquels ils feraient entendre leur voix à eux, ils payent des joueuses de flûte, et louant ainsi à grands frais une voix qui n’est pas la leur, celle des flûtes, c’est par le moyen de cette voix qu’ils conversent entre eux ! Au contraire, dans le cas où la réunion des buveurs est de gens distingués et qui ont de la culture, on ne saurait voir alors ni joueuse de flûte ni danseuses ni joueuse de lyre, mais des hommes qui, pour converser se suffisent à eux mêmes sans ces niaiseries et ces amusements, usant de leur voix à eux, chacun son tour, parlant et écoutant suivant un ordre bien réglé, même quand ils ont bu du vin en grande abondance. Or c’est ainsi encore que les réunions du genre de celle ci, quand elles engagent des hommes du genre précisément de ceux que prétendent être la plupart d’entre nous, n’ont nullement besoin d’une voix étrangère, pas davantage de poètes à qui l’on ne peut même pas demander ce qu’ils veulent dire, et pourtant dont le plus souvent on invoque l’autorité dans l’argumentation , les uns affirmant que telle est la pensée du poète, les autres qu’elle est différente, discutant sur des choses qu’ils sont impuissants à prouver ! Et bien les gens dont je parle répugnent à cette façon de converser : ce sont eux qui conversent avec eux mêmes et par le moyen d’eux mêmes, usant d’un langage qui est leur langage à eux, pour mettre les autres à l’épreuve, et, réciproquement, pour s’y soumettre eux mêmes. (Protagoras § 347)           



L'art de l'entretien est aussi l'art d'accoucher les esprits (maieutique)

Socrate : quel est visiblement celui qui donne son opinion ? moi qui interroge, ou bien toi qui réponds ? - Alcibiade : C’est moi. ; - Socrate :Et si maintenant je te demande quelles sont les lettres dont est fait mon nom : Socrate, et que tu me répondes quelles sont ces lettres, qui de nous les énonce ? - Alcibiade : C’est moi - Socrate : Poursuivons donc ! En un mot, dis le moi, quand il y a questions et réponses, qui énonce son opinion ? celui qui pose la question ou bien celui qui y répond ? - Alcibiade : C’est me semble t il bien Socrate, celui qui y répond. (Alcibiade §113)
        


La maïeutique ne doit pas faire intervenir le questionneur
  

 Socrate : …maintenant donc, en reprenant du début, définis avec plus de précision ta pensée : l’activité appliquée à de bonnes choses, ou la production de telles choses, appelles cela comme tu voudras, est ce en cela que , d’après toi consiste la sagesse ? – C’est bien en cela selon moi, répondit il - Et la conclusion, c’est qu’il n’y a pas de sagesse chez celui dont l’activité s’applique à des choses mauvaises, mais chez celui où elle s’applique à des choses bonnes ? – Tandis que toi, excellent Socrate, tu n’es pas du même avis ? – Ne t’inquiète pas de moi, répliquai je. Gardons nous en effet d’examiner pour le moment ce qui est mon avis, mais bien ce qu’à présent, toi, tu dis. (Charmide §163)         



Le manichéisme de la la maïeutique est souvent refusé par les interrogés

Socrate : ..le jour où je m’entretiendrai avec toi, ce sera celui où toi, tu voudras bien t’entretenir avec moi de façon que je puisse te suivre ! Toi en effet, comme on le dit à ton sujet et comme tu le proclames toi même , tu es capable de mener une discussion selon la méthode de longue parole, aussi bien que selon celle de brève parole, car tu es un habile homme ! tandis que moi, ces longueurs, elles me rendent impuissant à discuter, quel que soit mon désir d’en être capable. (Protagoras § 335)          



Ils veulent le droit de répondre plus longuement

Socrate : si on pose quelque question à l’un de nos orateurs politiques, alors, pareil à un livre, il n’est capable ni de répondre ni de questionner à son tour ; quand on l’interroge au contraire sur une des choses qu’il a dites, même la plus minime, alors pareil à ces vases de bronze auxquels un choc donne un résonance qui se prolonge longuement, à moins qu’on n’y porte la main, l’orateur, sur cette si mince question, tire en longueurs son discours. Mais Protagoras, lui, cet homme qui, on l’a bien vu, a le talent de prononcer de longs et beaux discours, il a le talent aussi, quand on l’interroge, de faire une réponse courte, et, quand c’est lui qui pose la question, de savoir attendre la réponse et de l’accepter : talent qui est réservé à bien peu de gens ! (Protagoras § 329)           



Pareillement pour Socrate quand c'est lui qui est interrogé!

Euthydème : Alors ? - Socrate : Considère que je suis prêt à te répondre et interroge - Euthydème : Eh bien reprit il , oui ou non Socrate es tu savant en quelque chose ? – Socrate :Ma foi oui - Euthydème : Mais ce grâce à quoi tu es savant , est ce grâce à cela que tu sais, ou grâce à quelque autre chose ? – Socrate :C’est grâce à ce qui fait que je suis savant en cela ; c’est en effet , je pense, l’âme que tu veux dire ; n’est ce pas de cela que tu parles ? - Euthydème : N’as tu pas honte Socrate, quand on te questionne, de répondre par une question ? – Socrate : Eh bien comment veux tu que je m’y prenne ? Je ferai en effet comme tu voudras : veux tu, quand je ne saurai pas ce que tu me demandes, que je réponde néanmoins, sans pourtant poser une nouvelle question ? - Euthydème :En fait sans doute as tu quelque idée de ce que je dis ? – Socrate : Ma foi oui - Euthydème : Alors réponds par rapport à l’idée que tu te fais ! – Socrate : Eh quoi, si toi en me posant ta question tu as telle chose en tête, et que moi, en m’en faisant une idée différente, je réponde ensuite par rapport à cette idée là, te contentes tu que, d’aventure, ma réponse soit sans aucun rapport avec ce qui est en cause ? - Euthydème : Moi je m’en contente ; mais pas toi à la vérité, si je m’en crois – Socrate : Alors, par Zeus, je ne répondrai pas avant d’être informé ( Euthydème §295)          



Il le reconnaît d’ailleurs lui même

Socrate : peut être est ce de ma part un étrange procédé : alors que je ne te permettrais pas de te livrer à de longs discours, j’ai moi même très longuement prolongé le mien ; mais je mérite que l’on m’excuse ; car quand j’usais de brièveté, tu ne comprenais pas et tu n’étais pas non plus capable de partir des réponses que je te faisais puisqu’il te fallait au contraire des explications. Si donc moi non plus je ne suis pas à même de bien comprendre les réponses que tu me feras, alors, à ton tour, développe à ton gré. ( Gorgias § 465)          

 

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